Composites : la nouvelle ère

Composites : la nouvelle èreÀ Lorient, chercheurs, ingénieurs et industriels sont réunis et innovent sur la fabrication des matériaux composites.

 

La version originale de cet article a été publié sur Espace des Sciences.

 

 

 

 

Au milieu d’une salle toute blanche, sous le regard attentif de deux ingénieurs, le bras d’un grand robot s’agite et dépose minutieusement une matière noire... Une matière vouée à recouvrir et renforcer les pièces d’un bateau. Nous sommes dans les locaux du plateau technique ComposiTic de l’Université Bretagne Sud, installé dans le paysage lorientais, depuis maintenant cinq ans. « Ce lieu permet de mutualiser des technologies autour des matériaux. Et de répondre aussi à une volonté des collectivités locales(1) de rendre visibles les savoir-faire du territoire dans les domaines des composites et du nautisme, précise Yves Grohens, son directeur. Car ces compétences existaient, mais elles étaient dispersées. »

 

Économies et rapidité d’exécution

C’est ainsi que, depuis 2013, se côtoient les ingénieurs de ComposiTic (une dizaine au total), les chercheurs lorientais de l’Institut de recherche Dupuy-de-Lôme (Irdl) et du Lab-Sticc(2), des industriels locaux qui apportent leur contribution et d’autres qui viennent de toute la France avec leurs projets et leurs questions. Le plateau, qui se déploie sur 1000 m2, accueille trois robots et une dizaine d’imprimantes 3D, dont la plus grosse a un volume utile de 1 m3 (lire p. 14). Le grand robot a, par exemple, été acheté à l’entreprise Coriolis Composites (basée à Quéven), spécialisée dans les machines industrielles destinées à la fabrication additive de composites. Ses ingénieurs réalisent ici leurs travaux de R&D en s’appuyant sur l’expertise matériaux de ComposiTic, comme aujourd’hui. Le reste du temps, il est utilisé pour des projets de recherche propres à ComposiTic.

 

Précis sur des trajectoires courbes

« Nous achetons des robots que nous équipons ensuite d’outils adaptés, explique Denis Cartié, responsable projets et développement composites chez Coriolis Composites. Celui-ci réalise du drapage automatisé, c’est-à-dire qu’il est capable d’appliquer, avec beaucoup de précision, une fibre continue de 6 mm de large, selon des trajectoires courbes sur de grandes pièces. » La fibre est imprégnée d’une résine et permet de renforcer une pièce réalisée au préalable avec une imprimante 3D, par exemple.

 

L’aéronautique, le nautisme

L’avantage par rapport à la technique classique du moulage est la rapidité d’exécution et l’économie faite sur le matériau. Le robot n’applique pas la résine partout : il se limite aux parties à renforcer. La tête de dépose montée sur le bras est aussi équipée d’un laser qui permet de fondre le matériau plastique à 400 °C pendant l’opération, ce qui est nécessaire pour la mise en œuvre des matériaux thermoplastiques hautes performances. Coriolis Composites, qui travaille beaucoup pour l’aéronautique (Airbus notamment), fait partie des cinq entreprises au monde qui maîtrisent cette technologie. « L’accès à la plate-forme ComposiTic nous permet de “jouer” avec les machines : avec mon équipe, nous sommes des bétatesteurs ! Et puis nous avons l’occasion de découvrir de nouveaux matériaux et donc de nouveaux secteurs, comme celui du nautisme », ajoute Denis Cartié. Coriolis Composites a réalisé sa première immersion dans le nautisme, en 2015, avec ComposiTic, dans le cadre du projet FoilAddict(3). « Aujourd’hui, nous terminons un projet avec Absolute Dreamer, qui a fabriqué les foils(4) de son catamaran Easy To Fly grâce à nos machines. »

 

Fournir les grandes marques

Dans les locaux de ComposiTic, il y a donc des machines, mais aussi des étagères pleines de matériaux. Ils proviennent en grande partie d’une autre société bretonne : basée à Louargat, près de Morlaix, Nanovia fabrique des consommables pour l’impression 3D. La société a été créée en 2013 et, à l’époque, il existait peu de matériaux imprimables. Nanovia a commencé avec deux plastiques standards couramment utilisés en impression 3D (PLA et ABS). Aujourd’hui, sa gamme compte vingt-cinq produits composés de deux à cinq ingrédients, comme de la poudre de coquilles d’huîtres(5). « Nous avons pu nous développer et mettre au point tous ces matériaux grâce à notre collaboration avec la plate-forme ComposiTic, explique Jacques Pelleter, son dirigeant. Nous n’aurions pas pu faire toute cette R&D sinon, et fournir de grandes marques comme PSA, Rossignol, Bosch, Airbus Helicopters... »

 

Des fourreaux de sabres de samouraïs

Au cours de notre visite, nous croisons justement un ingénieur de ComposiTic qui embobine un filament d’un nouveau polymère pour Nanovia. Une fois tous les tests réalisés et la recette mise au point, Nanovia peut produire à grande échelle et commercialiser les produits. Qui partent même aux quatre coins du monde : « Nos deux dernières commandes ont été expédiées à l’École polytechnique de Lausanne, en Suisse, et au Danemark, poursuit Jacques Pelleter. Ainsi qu’au Japon ! » L’entreprise de Louargat a, en effet, été contactée par le ministère de la Culture japonais très intéressé par les biocomposites en fibres de lin, exempts de perturbateurs endocriniens, pour reproduire, grâce à l’impression 3D, des fourreaux de sabres de samouraïs qui n’existent plus. Les pièces seront même mises en couleur par un maître laqueur ! Plus local et 100 % breton : c’est à Bénodet, et à partir de matériaux de Louargat, qu’a été imprimée la prothèse de course en carbone de Maxime Beugnet, Breton champion de France de l’Open d’athlétisme Handisport 2016.

Ces succès sont dus à la grande liberté de mise en œuvre rendue possible sur la plate-forme ComposiTic et insufflée par Yves Grohens. « J’aime dire à nos clients : venez imprimer chez nous : vous ne ferez pas ce que tout le monde fait ! Aujourd’hui, nous avons réussi à bâtir un écosystème, cent cinquante industriels répartis dans toute la France, basé sur la confiance. Ils viennent spontanément vers nous quand ils ont un challenge à relever. Nous n’avons pas besoin de commerciaux ! » Pour preuve, un agrandissement des locaux de ComposiTic est à l’étude et l’entreprise Coriolis Composites, qui a aussi besoin de place, en profite pour se rapprocher et s’installer à quelques centaines de mètres de là.

 

Ces matériaux qui se complexifient

Dans ce dossier sur  les matériaux composites, nous avons choisi de rester à l’échelle macroscopique en abordant les problématiques de fabrication et d’automatisation, que chamboule notamment la fabrication additive (impression 3D).

Même si nous faisons une incursion dans l’infiniment petit avec les capteurs de taille nanométrique, incrustés à l’intérieur des composites pour détecter des failles, et avec les verres composites, nous n’entrons pas dans l’univers des matériaux dits moléculaires, que les chimistes sont capables d’ajuster à l’atome près pour jouer sur leurs propriétés optiques, électroniques, magnétiques... Ceux-ci feront sûrement l’objet d’un futur dossier.