L'hydrogène, une nouvelle énergie durable ?

L'hydrogène, une nouvelle énergie durable ?Yves Grohens est vice-président en charge de l'innovation à l'UBS. Philippe Mandin, lui, est chargé de mission UBS sur l''hydrogène. Ils travaillent tout deux de concert actuellement sur l'hydrogène qui fait aussi la "une" des media. Au niveau de la recherche et de la formation à l'UBS, c'est donc un sujet qui passionne et interroge ! Découverte et explications avec Yves et Philippe ... 

Yves Grohens et Philippe Mandin se sont tous deux consacré aux enjeux liés à l'hydrogène comme source d'énergie "durable" et aux projets de recherche, de formation et d'innovation qui y sont liés au sein de l'UBS. Ils ont accepté de nous en dire plus à ce sujet. 

Bonjour Yves. L'hydrogène est un sujet d'actualité au niveau de la recherche à l'UBS. Pouvez vous nous en dire plus à ce sujet  ?

Yves Grohens : L’UBS souhaite travailler main dans la main avec les parties prenantes de son territoire en produisant des feuilles de route autour du développement économique et de l'innovation en lien avec les collectivités. Il s’agit pour l'université de chercher à raisonner dans un continuum économie-Innovation-recherche en prenant en compte les stratégies du territoire et en accompagnant ces dernières par des projets concrets. Il peut s’agit de projets de recherche, de plateformes techniques, de thèses, de formation continue, de chaires ou autres. L'hydrogène fait partie des sujets prioritaires identifiés depuis 1 an par l’UBS en accompagnement du Syndicat d'énergie du Morbihan (SDE 56) et de l'agglomération de Lorient. Il s’agit d’un sujet important pour la décarbonation des mobilités mais aussi des opportunités économiques qui en découlent. La décarbonation des mobilités, c'est l'élimination des émissions de dioxyde de carbone (moteur de voiture, cheminée de maison, chaudière, usine...).

Yves, Philippe, depuis quand l'UBS s'intéresse t-elle à l'hydrogène  ? Et quelle est l'origine de ce projet ?

Yves Grohens : L’UBS effectue des travaux de recherche depuis environ 10 ans sur l'hydrogène. 

Philippe Mandin : Effectivement, c'est un thème issu de mon précédent laboratoire de recherche, le Laboratoire d’Électrochimie et de Chimie Analytique (LECA) qui est devenu ensuite le LECIME, laboratoire CNRS. J'ai travaillé sur ces thèmes sous la direction de grands spécialistes français de l'électrochimie : Daniel Lincot, Michel Cassir...Quand j'ai été recruté à l'UBS en 2009 par un jury dirigé justement par Yves, j'ai présenté à la commission de recrutement mon projet financé par l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) "Matériaux et procédés" :  AMELHYFLAM (AMELioration des procédés d'électrolyse diphasique pour la production d’Hydrogène, de FLuor et d'AluminiuM). A l'époque, le Commissariat à l'Energie Atomique (CEA) s'intéressait au cycle thermodynamique impliquant le soufre (WestingHouse). Ils se sont depuis focalisé sur l'électrolyse haute température.Quelques années après m'avoir accueilli en 2009, Yves conduit à nouveau l'UBS à s'intéresser à cette thématique, un clin d’œil du destin! Ce qui fait qu'aujourd'hui, concrètement, nous travaillons ensemble sur ce sujet depuis 1 an au niveau de la recherche, des innovations mais aussi au niveau des formations.Depuis 1 an aussi, l’UBS a mis un coup d’accélération à ses projets hydrogène en préparant des formations de BAC à BAC+5 sur le sujet notamment à l’IUT de Lorient et à l’ENSIBS. Parallèlement, des réponses à des appels à projets autour de l'hydrogène de la région Bretagne et de l’ADEME ont été déposées en partenariat avec Morbihan Energies et Lorient Agglomération mais aussi avec des entreprises privées comme ALCA TORDA. D’autres projets sont en cours de montage. Nous pouvons citer Chantier de Bretagne Sud, partenaire important qui accompagne l'UBS et permet au territoire de Lorient d'être présent sur ce challenge lié à l'hydrogène à la fois sur le volet économique et académique. L'entreprise Alca Torda intervient aussi auprès de l'UBS par le recrutement de doctorants et d'alternants, mais aussi de l'expertise de Philippe Mandin.

Pour quelles raisons l'UBS s'y intéresse t-elle ?

Yves Grohens : L'hydrogène peut représenter une source d’emplois et de richesses importante sur le territoire breton. L’UBS pourra placer des stagiaires, des alternants, générer des projets, favoriser les embauches de nos étudiants ainsi que des projets de recherche et d'innovation. Être précurseur ou au moins pas trop en retard sur un sujet de ce type positionne l'établissement dans la course aux énergies vertes et peut séduire de futurs étudiants comme des entreprises pour des partenariats à co-construire.

Philippe Mandin : Pour l'énergétique, il est essentiel d'avoir un arsenal plus riche que l'arsenal actuel : le charbon, les hydrocarbures, l'uranium ont des qualités et défauts maintenant connus.
Pour le moment, le vecteur hydrogène et ses technologies associées n'a pas cette chance : il n'est presque pas connu.. Il convient donc de mieux le cerner, lui aussi, comme les autres, et ainsi d'évaluer en conscience et en connaissance de cause, ses défauts et qualités. On se dotera ainsi d'un degré de liberté supplémentaire pour nous assurer d'une meilleure durabilité et respect de l'environnement de nos activités humaines qui ne cessent de croître.C'est ce que nous sommes en train de faire à l'UBS : nous, académiques, scientifiques, accompagnons entreprises et politiques dans cette "mode", cette "pulsion" ou cette "envie" d'hydrogène.Nous apporterons la caution et la dimension scientifique à l'évaluation de ce vecteur d'énergie comme nouveau "combustible". Il a des qualités largement communiquées en ce moment.. il aura aussi des défauts... comme tout le monde !  Nous gardons la tête froide.

Quels sont les laboratoires impliqués dans cette recherche ? Combien de chercheurs concernés ?

Yves Grohens : L’Institut de Recherche Dupuy de Lôme (IRDL), le Laboratoire d’Économie et de Gestion de l'Ouest (LEGO), le Laboratoire de recherche en droit Lab-LEX, le plateau technique ComposiTIC sont impliqués mais d’autres laboratoires seront également mobilisés dans le futur.  L’UBS peut donc positionner aujourd'hui environ 10 emplois temps plein sur la thématique hydrogène.

Sur quoi travaillent-ils concrètement ? Sur quels projets ? 

Yves Grohens : Les projets à l’UBS sont divers. Les plus visibles touchent l'électrolyse, c'est-à dire la transformation de l’eau en hydrogène (Philippe Mandin) avec des systèmes intelligents, dynamiques, à haut rendement. Pour d’autres, il s’agit d’imaginer des sources d'hydrogène du futur à partir de biomasse marine ou agricole. Le stockage de cet hydrogène dans des réservoirs très haute pression en composites fait aussi partie des thèmes importants (Yves Grohens). La résistance des métaux à l'hydrogène est également un thème abordé. Du coté des sciences humaines, des travaux sur l'acceptabilité de cette nouvelle énergie (Laurent Guillet, IUT de Lorient) sont envisagés. 

Quelles sont les applications concrètes liées à l'hydrogène aujourd'hui ou demain ? Et à quel niveau ? 

Philippe Mandin : L'hydrogène, au départ, a été envisagé comme un moyen de stocker les excédents des productions d'énergie électrique issus des énergies renouvelables (ENR) de type éolien, hydrolien ou photovoltaïque par exemple. Aujourd'hui, on va plus loin sous l'impulsion des politiques et communicatifs : ils ne veulent plus seulement stocker des pics de production ENR ; ils voient dorénavant l'hydrogène comme remplaçant complet des anciennes énergies, en particulier pour la mobilité. Il y a aussi une volonté de décarboner l'industrie : mon directeur de thèse à Poitiers (NDLR : Jean-Michel Most) est à la tête d'une action nationale en ce sens d'ailleurs ! Je suis moi-même en contact étroit avec le monde de l'acier et de l'aluminium qui veut décarboner massivement.
Pour l'amélioration des mobilités futures, c'est plus évident : les bateaux, les trains, les poids lourds, les flottes pro (camions benne, logistique), les véhicules de particuliers...
La Bretagne, et notamment Lorient, sont aussi très intéressés par une décarbonation navale....L'UBS est très impliquée sur la thématique maritime : Yves Grohens avec les matériaux composites et le projet de nouveau technocampus hydrogène, Mathias Tranchant avec le projet de port du futur, Christophe Baley avec la décarbonation navale autour du nautisme...Sur ce volet, nos partenaires  principaux sont les entreprises CBS, Alca Torda, Barillec, Naval Group....
Des éoliennes off shore sont prévues entre Groix et Belle-Île. Lorient Agglo aimerait développer une activité locale importante autour de ces thèmes. L'électrolyse de l'eau de  mer est un grand challenge. Et nous, UBS, on veut les accompagner. On veut produire les formations et construire des promotions d'étudiants qui permettraient au territoire de s'approprier ces technologies.

Quelles sont les conséquences environnementales/ impacts de cette recherche sur l'hydrogène ? Est-il moins polluant que le gaz, le pétrole ou le charbon ?

Philippe Mandin : Le remplacement des hydrocarbures employés actuellement par de l'hydrogène peut nous permettre d'espérer une plus grande "furtivité" de l'activité humaine sur la planète....je m'explique ! En prenant un point de vue extra-terrestre qui observerait notre planète, avec le dioxyde de carbone, l'activité humaine est dénoncée car elle a un impact visible sur la planète qui nous accueille et nous dénonce "chimiquement"! A l'inverse, une énergétique humaine basée sur l'utilisation de l'hydrogène et de l'eau mènerait à un impact de l'activité humaine sous forme d'eau dans l’atmosphère, eau déjà présente naturellement. En cas de succès massif, se poserait dans le futur la question de l'eau atmosphérique : serait-elle peut être plus présente? L'effet de serre serait-il réellement amoindri? La végétation, qui a besoin d'eau et de dioxyde de carbone, pourrait -elle continuer de trouver les deux ingrédients de sa photosynthèse? N'y aurait il pas plus de pluviométrie? Toutes ces questions se poseront le moment venu et sont ou seront évaluées par les modélisateurs de l’atmosphère et de ses évolutions.

Vers quoi va tendre l'UBS d'ici 5 ans à 10 ans à ce sujet ?

Yves Grohens : L’UBS va chercher à développer des formations adaptées à ces nouvelles compétences nécessaires en s'appuyant sur les composantes de formation, les laboratoires pour leur réseaux de recherche et les plateformes en lien direct avec les entreprises du territoire. Si l'hydrogène se développe comme annoncé dans les usages du quotidien (industrie, mobilité, chauffage, appareils domestiques), la Bretagne pourrait opérer une véritable mutation industrielle et sociétales que l’UBS doit anticiper !
Philippe Mandin : Je confirme. L'UBS va lancer des formations et, avec le temps, se doter des meilleures technologies et approches logicielles dans ce domaine. Une université compétente sur ce nouveau challenge à haut niveau permettrait aux entreprises du territoire de se nourrir de jeunes plus créatifs, plus imaginatifs.. et nos entreprises pourraient être à l'initiative de plus d'innovations...Il faut oser ! De l'audace, toujours de l'audace, encore de l'audace ! Il faut que notre université généralise ce "virus de l'audace": avoir plus de moyens, c'est avoir ce qui se fait de mieux, c'est donner les meilleures cartes possibles à nos jeunes donc à nos entreprises qui les recrutent. On part de 0 ou presque... Dans 5 ans, j'aimerais avec Yves qu'on ait des postes et des investissements qui nous permettent de disputer les compétences de l'hydrogène avec les plus grands centres français actuels dédiés à cette thématique : Grenoble, Belfort, Nancy, Toulouse....

Nous avons évoqué le volet innovation et recherche à l'UBS, mais le second pilier c'est aussi le volet formation. En quoi le travail des scientifiques sur l'hydrogène a impacté l'offre de formation  ?

Philippe Mandin : Oui, cela a été notre première pierre à Yves et moi. Puisque je suis à l'IUT de Lorient et que j'ai été responsable 6 ans de la Licence Professionnelle (LP) Maîtrise de l’Énergie, de l’Électricité et du Développement Durable (ME2D2), nous avons décidé d'abord, tout naturellement, d'introduire des enseignements sur l'ingénierie hydrogène dans cette formation ; et cela dès la rentrée prochaine! Car il faudra dans le futur des techniciens de maintenance pour assurer la maintenance des briques technologiques hydrogène lorsqu'elles seront répandues sur le territoire. Cela a été mon premier mouvement proposé de novembre à janvier à l'IUT de Lorient.Cela a permis de lancer une nouvelle LP ME2D2 option hydrogène à l'IUT de Lorient. Le but premier affiché ici est de mieux initier les actuels BAC+2 et BAC +3 de l'IUT à ce nouveau vecteur hydrogène. Cette LP sera amenée à évoluer, à être multi-compétences pour s'enrichir de tous les départements de l'IUT : génie chimique, maintenance, HSE, logistique et énergétique....
Mais ce qui est important dès à présent, c'est l'offre à BAC+5...A cet effet,  je travaille avec le parcours mécatronique de l'ENSIBS et on envisage un nouveau parcours énergétique mécatronique avec l'équipe et son directeur Eric Martin. Cela correspond à la demande actuelle très forte de notre réseau d'entreprises partenaires.
Bref, avec Yves on fait en sorte que l'UBS ait une offre de formation complète de BAC à BAC+5 !

Pourquoi avoir voulu créer ce parcours ? Répond-il à un besoin local spécifique ?

Philippe Mandin : Parce que le besoin de Lorient Agglo existera dans le futur. Mais pas avant 3 ans, par exemple, si d'ici là elle se dote de bus et de bateaux à hydrogène. Donc il faut anticiper nos formations pour pouvoir avoir des diplômés formés pour répondre à cette future demande naissante. Il nous faut donc avant cela initier nos étudiants en formation à cette nouvelle ingénierie. L'UBS est une petite université, elle doit donc se montrer agile sur ce type de challenge technologique qui arrive vite et demande des réponses rapides.

Concrètement, qu'est ce que ce nouveau métier de technicien "hydrogène"?

Philippe Mandin : Pour l'instant, le besoin qui se fait sentir et est répertorié se situe au niveau BAC +5, des ingénieurs, des managers de projets...Les techniciens de maintenance "rentreront sur le terrain" dans un second temps, quand les technologies seront "sur place" et qu'il y aura des besoins pour assurer leur maintenance. Donc, pour l'instant, on "initie" nos étudiants à ce nouveau vecteur de façon à devenir de plus en plus performant dans ce domaine.
On les veut surtout compétents dans toutes les énergétiques...avec, ce qui est nouveau et original, un effort d'initiation au vecteur hydrogène !

Il est question d'un futur technocampus hydrogène à Ploemeur ? Qu'en est -il ?

Philippe Mandin : Un gros projet immobilier de 750 m2 est en cours de réflexion sur le site de ComposiTIC, parc de Soye, à Ploemeur qui permettrait d'exposer les premiers éléments de l'ingénierie hydrogène mais aussi d'accueillir les formations du territoire lorientais. Pour cette année, nous voudrions mettre en place une chaîne complète de 5 kW autour de l'hydrogène : trackers solaires, électrolyseurs, réservoirs de stockage sous pression et pile à combustible. Ce chaînage permettrait de monter en compétence sur le territoire et d'accueillir des entreprises dans ce domaine. Pour y arriver, nous sommes encouragés et aidés financièrement par Lorient agglomération et la présidence de l'UBS.